Organisation d'une salle d'expérience

Louzon Danielle Maternelle Julie Daubié - Les Lilas Juin 1999

 

L'école maternelle Julie Daubié ( anciennement école Paul Langevin) est située aux Lilas, Seine-Saint-Denis; dans un quartier tranquille. Nous avons actuellement 8 classes. Les enseignantes forment une équipe stable depuis plus de vingt ans.

Dans cette école, au fonctionnement particulier, toutes les salles de classe sont aménagées en ateliers spécialisés. Chaque salle sert à la fois de lieu d'accueil et de référence à un groupe classe, pour une partie de l'espace, le reste de l'espace étant occupé par l'atelier spécialisé. 4 classes de moyens et grands travaillent dans le même circuit. , les petits ayant une organisation un peu différente.

Nous avons une B.C.D., une salle de graphisme, une salle de bricolage, une salle de jeu, une salle de mathématiques, une salle d'écriture... et une salle d'expériences, qui depuis plus de 20 ans que nous l'avons conçue a porté des noms différents: salle de sciences, de technologie..

.Nous l'avons volontairement installée entre la salle de mathématiques et l'atelier de bricolage pour favoriser les liaisons. Elles sont fréquentes entre" bricolage" et "expériences", pour continuer un objet, le perfectionner, ou bien pour chercher des matériaux (tester tout ce qui flotte), ou encore se procurer des outils. Elles sont exceptionnelles avec la salle de mathématiques.

Un de nos objectifs, était de mettre à la disposition des enfants un milieu riche, sans exclusive, nous avions remarqué que, dans l'ensemble leurs capacités étaient sous estimées par les adultes.

Nos démarches pédagogiques sont issues de nos lectures, de nos rencontres et de la formation que nous avons personnellement acquise et échangée, aucune de nous n'étant passée par l'IUFM, en bref nous pratiquons une pédagogie de projet, coopérative, où la vie de l'école est le champ pédagogique. Nous voulons que dans cette salle les enfants apprennent à regarder, observer, s'interroger, douter, chercher ; qu'ils développent des comportements nouveaux, et qu'en raison de leur âge, ils acquièrent des démarches expérimentales ,quelques connaissances, une grande envie d'explorer. Nous les aidons à structurer le réel, plutôt qu'à acquérir des savoirs scientifiques. Nous souhaitons que leurs expériences tâtonnées, échangées avec leurs pairs, soient réinvesties dans d'autres domaines.
 
 

Les instructions officielles ont toujours été compatibles avec nos choix. Cependant" l'Institution ", malgré les inspections, nos essais d' interventions aux journées pédagogiques, la rédaction d'un projet d'école précisant l'aménagement de cette salle , "l'Institution", donc, ignorait ce travail , jusqu'à l'an dernier, où ,l' enseignement des sciences devint d' actualité. L'opération "La main à la pâte" arrivait dans le département. Notre Inspectrice du moment proposa l'inscription de l' école, aucune autre dans la circonscription n'était volontaire. Nous nous sommes reconnues dans les principes de "La main à la pâte", nous y avons souscrit, nous ne le regrettons pas.
 
 



Le mobilier, le matériel

Pour rendre les enfants autonomes ,et ainsi l'institutrice plus disponible, le rangement est à leur hauteur, les meubles n'ont pas de porte, ce sont des étagères garnies de casiers. Sur la façade de chaque casier une photo ou un mot, (nous sommes avec des non-lecteurs), la même photo sera posée sur le plan horizontal de l'étagère, ce qui , en fin de séance, nécessitera une simple correspondance terme à terme pour que le rangement soit effectué rapidement par l'utilisateur .Chaque meuble est "spécialisé" ainsi la recherche comme le rangement répondront au programme de mathématiques (tri, classement).

Dans le meuble " constructions" se trouvent:
-des éléments de circuit de billes
-un jeu "Asmeca" avec fiches
-un jeu "Mecano" avec fiches
-un jeu "Gigo" avec fiches
-un billard


Dans le meuble "Lego" se trouvent :

-des casiers où les briques sont classées par couleur
-des boîtes vendues avec le nombre exacte de pièces et le plan pour réaliser des petits véhicules


Dans le meuble " matériel" :

-un casier "loupes" plus une loupe binoculaire posée au-dessus
-un casier électricité
-un casier aimants
- un casier ressorts
-un casier outils
-un casier divers -pâte à modeler, ballons de baudruche, scotch,..

 
 

Le matériel de récupération pour l'atelier "démontage" est posé sur un petit meuble roulant, genre plateau de desserte.
 
Les 8 petits éviers sont alimentés en eau froide, à côté d'eux, des paniers roulants, en grillage blanc, reçoivent tuyaux, bouteilles, pompes et serpillières. 

Deux tables d'écolier sont réservées aux plantations. Sur les meubles sont posés le matériel d'actualité, les balances horizontales, les réalisations en cours d'achèvement !
 
 

La documentation

Un espace lui est réservé (une petite table d'écolier), elles comprend, des ouvrages spécifiques proposant des manipulations et des expériences (ex 100 expériences) ou des thèmes à exploiter (électricité, bulles de savon etc...Elle comprend aussi des fichiers regroupés dans des corbeilles par thème, fiches du commerce ( Lego, Mecano, ou fichier Freinet), ou bien des fiches "maison"*. Un fonds documentaire permanent se trouve dans la BCD, on y puise en fonction des besoins. Une petite photocopieuse ,permet de reproduire la fiche réalisée par un enfant , de la faire figurer dans le fichier et dans son cahier personnel.

*Quand un enfant réalise une expérience nouvelle, intéressante pour le groupe, ses commentaires sont notés au brouillon par l'enseignant, une photo est prise, plus tard elle sera collée, sur une fiche cartonnée, le commentaire recopié. Ainsi l'enfant créateur de documents enrichit la B.C.D., constitue la mémoire de l'école, et s'approprie la fonction documentaire.
 
 
 
 

fonctionnement de la salle

Déroulement d'une séance type

Les enfants arrivant de 4 classes différentes (moyens et grands), l'institutrice vérifie sur la " carte de projet" de chacun qu'il est bien dans l'atelier choisi, elle annonce les activités possibles ( nos effectifs étant de 30 enfants par classe nous ne pouvons pas répondre à 30 projets individuels), et l'activité principale du jour. Chacun va chercher son matériel et s'installe d'une manière autonome, l'adulte circule de table en table. Certains enfants viennent avec un projet trop vague (suivre un copain) ou imprécis (jouer à..). On les incitera à consulter la documentation présente, les fiches "maisons" seront souvent proposées avec succès . Il faudra prélever des indices sur les photos, comprendre le commentaire écrit, imaginer les actions, cette "lecture" demande aussi d'émettre des hypothèses, puis de les vérifier .

Nous ne demandons pas aux enfants de venir vérifier des données scientifiques, nous les aidons à travers leurs manipulations à structurer le réel, à s'ouvrir au questionne --ment, à développer leur esprit critique, ils ont entre 4 et 6 ans.

Après 45mn de fonctionnement ils se regroupent en un grand cercle, sur des bancs, et présentent, soit spontanément, soit à la demande de la maîtresse leur découverte, réalisation, réussite du jour; des questions sont posées par des camarades. Ce moment est riche et important, affectivement, scolairement. Il aide à structurer la pensée, à préciser le langage, à pratiquer l'écoute, il met en valeur le travail de chacun, et donne ainsi envie... nous l'espérons, d'essayer une autre fois.
 
 

des exemples :
- histoire d'un sous-marin qui s'obstinait à flotter
- les escargots sont morts,
- l'eau, vases communicants
- l'électricité pour ma maison en carton
- comment faire un toit en "lego?"
- les aimants ont de la force à travers...

Histoire d'un sous-marin qui s'obstinait à flotter.

Florian, 6 ans, veut se construire un bateau, à la salle de bricolage, mais il ne sait pas comment. L'institutrice lui suggère d'aller se documenter à la B.C.D. Il revient avec une fiche: le sous-marin (Nathan.) Il le construit sans problème, et vient le mettre en eau dans la salle d'expériences.

Avait-il bien "lu" la fiche? Avait-il compris le concept de sous-marin? ...il pose sa construction dans l'eau : elle flotte, il est satisfait. Son copain Sylvain dit qu'un sous -marin doit aller sous l'eau. Une discussion s'ensuit, avec un petit groupe d'enfants : Sylvain a raison, un sous-marin, ça va sous l'eau.

Nous recherchons alors comment faire "couler" ce sous-marin. proposition : on met de la pâte à modeler dedans. Ce qui fut dit, fut fait, mais l'opération est laborieuse. Il faut faire des petites boules de pâte, pour les faire entrer dans la bouteille. Alexandre vient aider Florian et Sylvain. Ils alternent, à plusieurs reprises, remplissage et tests de flottaison. Commentaires des enfants: "quand elle (la bouteille) est vide elle remonte, quand elle est vide à moitié elle remonte à moitié". L'expérience ayant duré plusieurs séances, Sylvain se fatigue un peu, et décide de compléter le remplissage avec de l'eau, ce qui va beaucoup plus vite... et le sous-marin s'immergea!

Conclusion : ça coule parce que l'eau va partout, elle remplit tout, pas la pâte à modeler. En fin de séance les 3 "sous-mariniers" expliquent leurs recherches au groupe. Pour que la démarche soit vraiment scientifique, j'aurais dû proposer de renouveler deux expériences en parallèle : "tout pâte à modeler" et "tout eau". Je n'y ai pas pensé...

A la séance suivante d'autres enfants ont envie de reproduire l'expérience. Mais il n'y a plus de pâte à modeler. Yliès décide de prendre des billes.

Après en avoir introduit quelques unes, il testent. Ils se trouvent face à un"culbuto", qui tangue, et les fait éclater de rire, sans comprendre ce qui se passe.

Ils ajoutent des billes, la bouteille s'enfonce à la verticale, Yliès dit alors qu'il faut mettre les billes à plat ( à l'horizontal. Il roule la bouteille tel un rouleau à pâtisserie, les billes se répartissent. Il pose alors délicatement la bouteille sur l'eau. et, la bouteille s'immerge !

Les conclusions: si c'est lourd ça coule, si ce n'est pas assez lourd, non.

C'est une partie de la vérité, mais j'ai pensé que le concept de densité nous aurait peut être lassés, eux avant moi !

Les traces: sur le conférencier (appelé aussi paper-board): à la fin de la séance, lors de la synthèse je propose aux " sous-mariniers " de dessiner leur expérience. Ils n'osent pas. Yani se porte volontaire, il a tout observé, n'est pas intervenu, mais il maîtrise très bien l'histoire. Florian vient l'aider pour apporter des précisions. Florian fera aussi le dessin pour son cahier.
 
 





Expériences avec des aimants.

Michel vient avec le projet de jouer avec les aimants. Il prend le casier où se trouvent des aimants de toutes sortes, des petits objets très variés ( trombones, pâte à modeler papier, clous, crayons, petites voitures, poignées de porte, ciseaux, épingles, etc...) et s'installe à une table.

Au cours de la séance, il me montre ce qu'il arrive à tenir avec son aimant, il introduit une feuille de papier cadeau entre l'aimant et les objets métalliques, et m'annonce : "Annie regarde l'aimant il a de la force même à travers".

Je propose à Michel de montrer son travail au groupe, en fin de séance.

Avec ce montage, il aurait pu déduire autre chose ( que l'aimant porte le papier, à condition qu'il se trouve entre deux éléments, que l'aimant porte plusieurs objets, etc..) Mais pour lui le plus important était la force qui passe à travers le papier.

Il s'en est suivi un grand nombre d'expériences du même type: est-ce que la force de l'aimant passe au travers de : la chaise, la table, les boîtes en tout genre, etc...

Je prends des photos, note les remarques de Michel, et prépare une fiche pour la B.C.D.

Un an plus tard, Shane en regardant la fiche, se propose de refaire l'expérience de Michel. Il réussit. D'autres enfants suivront, cette expérience a toujours du succès. Les enfants aiment ces objets qu'ils disent magiques, à nous de les faire entrer dans le réel en tâtonnant, réfléchissant, analyser, expérimentant, ( en leur proposant une démarche scientifique.)
 
 

Vie et mort des escargots

Nous avions, dans un aquarium, quelques 5 escargots, nourris, observés, choyés, quotidiennement. Les enfants les regardaient à la loupe, ils avaient vu les yeux sur les cornes, la bave qui aide à glisser, les marques de dents au bord de la feuille de salade, les crottes en direct sur :leur main.

Un jour, comme d'habitude, les enfants arrivent avec des projets très différents. Je décide d'être plus présente à l'atelier eau. Trois filles d'une classe de moyens prennent en charge l'arrosage des plantes, une autre, grande, le soin aux escargots. La consigne pour les plantes est :un gobelet d'eau par pot ; pour l'escargot, retirer la salade fanée, mettre de la salade fraîche et quelques gouttes d'eau.

La séance se termine sur les chapeaux de roue, beaucoup de projets à évaluer, je suis de service dans la cour, je ne vérifie ni l'arrosage, ni les soins aux escargots.

Le lendemain matin, nouvelle séance, d'autres enfants viennent pour s'occuper des escargots : l'eau dépasse le niveau de la terre, les escargots ne bougent

Observation :tout le monde s'approche, les enfants sortent les escargots de l'eau et déclarent : " ils ne se réveillent plus, ils ne bougent plus, ils sont morts…parce qu'ils avaient la tête dans l'eau.

Clara avait appliqué la consigne d'arrosage des plantes aux escargots.

S'ensuit une grande discussion sur la mort :pourquoi ? c'est quoi la mort ? mon grand-père il est mort ; et quand on est blessé…Nos escargots sont morts noyés, alors, à la piscine si on met la tête dans l'eau on peut se noyer ?. nouveau débat. En fin de compte, merci Clara d'avoir fait cette erreur.



avec nous...

En juin 98, lors du dernier conseil d'école, nous annonçons aux parents notre intention de participer à "la main à la pâte". Une maman élue nous propose sa participation, ou celle de son mari ( ils sont tous les deux directeurs de recherches au C.N.R.S. dans des domaines différents). Ils décidèrent que Pierre serait notre collaborateur. Une fois par quinzaine, pendant une séance. Il travaille dans la salle, avec un groupe de 4 enfants.

Son aide est précieuse, il est précis, sait parler aux enfants, calme il les écoute. Après la séance, il m'a souvent aidée a acquérir une démarche scientifique qui me fait défaut!

L'étudiant volontaire pour "lamap" n'est venu qu'en février, et, nous a quittés fin avril,

pour se consacrer à ses études.
 
 

Les traces

Elles sont souvent le fruit d'un travail collectif. Nous n'avons pas privilégié la trace individuelle, même si elle a lieu. Les enfants sont jeunes, leur attention limitée dans le temps, la fin de la séance quelquefois difficile. La récréation arrive immédiatement après, après quoi les plus jeunes doivent partir à la cantine ( contrat d'aménagement du temps de l'enfant signé par la commune), la reprise écrite différée serait donc imprécise, voire étonnée.

Les grands dessinent parfois leur expérience, et dictent les commentaires à l'adulte. Cette feuille sera collée dans leur cahier "de tout".

Les traces collectives ont différentes formes:

sur le conférencier

-des grands viennent faire le dessin de leur aventure expérimentale du jour, de ses phases et répondent aux questions, une suite peut être ajoutée les jours suivants

- l'institutrice dessine sous dictée et note les remarques, les compte-rendus des différentes séances sur le même thème formeront la mémoire de la séquence.

Sur les fiches élaborées en classe (cf. fiches-maison)
 
 


 
 


L'évaluation

Elle se fait oralement, en fin de séance, au moment de l'échange en groupe. Tout de suite après l'institutrice, note l'essentiel sur la " carte "de l'enfant, à côté du projet initial. Ce langage est parfois hermétique pour le lecteur extérieur (la permanence de l'équipe nous fait souvent fonctionner dans l'implicite!) mais, il ne l'est pour l'enfant qui retrouve facilement le codage de ses réussites.